Interruption de la prescription en matière de faute inexcusable : enseignements récents de la Cour de cassation.
Dans un arrêt récent , la Cour de cassation continue de préciser le régime de la prescription applicable à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Elle considère que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur interrompt la prescription à l’égard de tout autre action procédant du même fait dommageable (Cass. soc., 25 septembre 2025, n°23-14.017).
Rappels sur la prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur
Rappelons d’abord que la prescription est la consolidation d'une situation juridique par l'écoulement d'un certain délai. Elle est dite « extinctive » lorsque cet écoulement d'un délai fait disparaître le droit auquel la personne pouvait initialement prétendre.
Ainsi, le temps qui passe « fige » une situation juridique et fait perdre à la personne son droit d’agir ou de réclamer quelque chose.
Parfois, la prescription peut être interrompue par un événement : le délai de prescription déjà acquis est effacé, ramené à zéro, de telle sorte que la prescription recommence à courir pour la totalité de sa durée initiale (C. civ, art 2231).
L’introduction d’une action en justice est un de ces événements qui interrompent la prescription (C. civ, art 2241). Ainsi l’acte de saisine de la juridiction, même entaché d’un vice de procédure, interrompt les délais de prescription (jurisprudence récente, et notamment : Cass. 2e civ., 18 janv. 2024, n°21-23033).
Pour rappel, le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis l'intéressé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Cass. 2e civ. 8 octobre 2020 n° 18-25.021 FS-PBI et 18-26.677 FS-PBI ; Cass. soc., 29 février 2024 n° 22-18.868 F-B).
Dès lors, le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut obtenir une indemnisation complémentaire à la prise en charge de base par l’Assurance Maladie en établissant la faute inexcusable de l’employeur.
L’action en reconnaissance de la faute inexcusable se prescrit par deux ans (CSS, L. 431-2) à compter du plus récent des événements suivants (Cass. civ. 2e , 3 avril 2003, n°01-20.872 ; Cass. soc., 27 avr. 2000, n°98-11.750) :
Jour de l’accident ;
Jour de la cessation du paiement de l’indemnité journalière, si la Caisse n’a pas contesté le caractère professionnel de l’accident ;
Jour de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident.
Les apports de la décision de la Cour de cassation du 25 septembre 2025
Dans un arrêt récent (Cass. soc., 25 septembre 2025, n°23-14.017), la Cour de cassation a apporté certaines précisions sur l’interruption de la prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable.
Dans cette affaire, un salarié avait été détaché auprès d’une société utilisatrice dans le cadre d’un prêt de main d'œuvre. Il avait été victime, le 27 septembre 2013, d’un accident du travail. Il avait perçu des indemnités journalières jusqu’à la date de consolidation du 30 septembre 2015.
Le salarié a saisi, le 10 juin 2016, une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de l’entreprise utilisatrice. Le 25 janvier 2018, il a attrait l’employeur (la société prêteuse de main d'œuvre) à la procédure.
Les juges du fond ont déclaré prescrite sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Ils considéraient que l’action introduite à l’encontre de l’entreprise utilisatrice, qui n’était pas son employeur, n’avait pas interrompu le délai de prescription de l’action en faute inexcusable dirigée contre la société prêteuse.
La Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement des juges du fond.
Elle considère, en effet, que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur interrompt la prescription à l’égard de tout autre action procédant du même fait dommageable.
Ainsi, les deux actions en reconnaissance de faute inexcusable engagées successivement par la victime contre l’entreprise utilisatrice, puis contre l’entreprise prêteuse, procédaient du même fait dommageable, de sorte que la première avait interrompu le délai de la seconde.
En privilégiant une approche large de l’effet interruptif de la prescription, la Haute juridiction renforce la cohérence et la sécurité juridique du contentieux de la faute inexcusable.
Saviez-vous que la prescription ne produit pas effet de plein droit ?
En effet, en vertu de l’article 2247 du Code civil : « les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ».
En d’autres termes, le juge ne peut invoquer de son propre chef la prescription. Si le débiteur, c’est-à-dire celui qui doit exécuter l’obligation, ne se prévaut pas de la prescription, alors il sera condamné à exécuter.
Par obligation morale, le débiteur peut donc renoncer, expressément ou tacitement (C. civ, art. 2251), à une prescription déjà acquise (C. civ, art. 2250).
En tout état de cause, la renonciation du débiteur doit résulter de circonstances établissant sans équivoque l'intention de ne pas se prévaloir de la prescription.
Le juge a, quant à lui, la faculté de rechercher d’office des actes interruptifs de prescription. Toutefois, ce n’est pas pour lui une obligation (Cass. 2e civ., 3 octobre 2024, n°22-10329).
Lien vers l’arrêt : https://www.courdecassation.fr/decision/68d4d7831e8f43fdd30b5df9